Les
organisations criminelles surprennent par leur capacité de reproduction
et par l'innovation permanente des méthodes utilisées pour accumuler du
capital et défendre leurs intérêts. Les narco-trafiquants colombiens ne
sont pas une exception. Durant les dernières décennies, le trafic
illicite de drogue en Colombie a su supporter les actions de répression
de l'Etat et s'adapter aux avatars du marché international, ainsi
qu'aux différentes stratégies anti-drogues déployées par les Etats-Unis
dans la région andine. Dans la même logique, les protagonistes de ce
trafic ont conclu des alliances, formé des coalitions, provoqué des
guerres avec des acteurs concurrents, voisins ou non, dans une lutte
pour le contrôle de cette industrie florissante.
Cet
article se propose d'étudier les voies par lesquelles les réseaux du
trafic de drogues ont tenté de répondre au défi posé par leur activité
illicite. Ceci permettra d'analyser l'évolution constante des modes
d'organisation et des stratégies développées par les narco-traficants
et de comprendre la surprenante capacité d'adaptation de ces réseaux.
Nous
considérerons d'abord le développement de la première génération de
narco-traficants, les « cartels », en particulier ceux de « Medellín »
et de « Cali ». Nous identifierons les éléments qui ont rendu possible
la configuration de ces organisations, relativement structurées,
centralisées et identifiables, capables d'exercer un contrôle sur la
presque totalité des étapes du commerce. Nous caractériserons ces
cartels en analysant l'origine sociale de leurs membres, la stratégie
d'entreprise développée, la relation avec les autorités et le monde
politique ainsi que les stratégies visant le contrôle et la survie du
commerce.
Il s'agira ensuite
de décrire les changements significatifs ayant permis l'émergence d'une
autre génération de narco-traficants à la fin du XXème siècle. Nous
présenterons brièvement ce qu'on appelle le « Cartel del Norte del
Valle », expérience intermédiaire entre les grands cartels et la
situation actuelle. Puis, nous centrerons notre attention sur la
seconde génération de trafiquants afin de voir comment les anciens
cartels ont été remplacés par des groupes hétérogènes, marqués par une
grande flexibilité dans la gestion du commerce. Dans le nouveau
millénaire, le trafic illicite de drogue semble fonctionner, en
Colombie, comme une véritable « entreprise en réseau ».
Enfin,
cette analyse des modes d'organisation, des tactiques et des actions
déployées par des acteurs immergés dans le monde du trafic de la drogue
permettra d'évaluer les profondes conséquences au regard de
l'efficacité de la stratégie anti-drogues mise en place dans le pays.
Le
terme de « cartel » a été introduit en Colombie au début des années
1980 par la justice nord-américaine pour expliquer les alliances entre
narco-trafiquants et réunir en un seul procès les diverses enquêtes
judiciaires. Bien que le concept se soit imposé rapidement dans la
presse et l'opinion publique internationale, sa portée et sa précision
tendent à s'éloigner de la réalité. Ainsi les « cartels » n'ont jamais
eu d'expression organique concrète, durable et définie comme le concept
semble l'indiquer. Si cela s'est produit, ce ne fut que de manière
circonstancielle. Il en va de même pour la consolidation des alliances,
les systèmes de collaboration et la participation à des tâches propres
aux diverses étapes du commerce. S'il est vrai qu'à Cali et à Medellín,
deux secteurs importants de narco-trafiquants ont concentré l'activité
et le pouvoir, dans le reste du pays, et notamment dans la zone du
Norte del Valle, le trafic de drogues a fonctionné sur la base d'une
autonomie relative des acteurs et des organisations.
BONNE LECTURE!!